Plusieurs questions se posent sur la succession d’Etienne Tshisekedi. Entre la présidence de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), la présidence du conseil des sages du Rassemblement de l’opposition, celle du Conseil national de suivi de l’accord ainsi que le leadership dans de l’opposition congolaise, le Sphinx de Limete laisse un vide difficile à combler. KINSHASATIMES.CD s’est planché sur l’après Tshisekedi wa Mulumba au cours d’un entretien lui accordé par l’économiste Noel Tshiani, héritier idéologique du Lider Maximo et candidat à la future élection présidentielle en République démocratique du Congo.

KINSHASA TIMES : Tshisekedi fut un leader politique poids lourd qui, par sa détermination politique, a apporté une contribution significative en jetant les bases de la démocratie en RDC. Quelles seront, selon vous, les implications de sa disparition dans la scène politique congolaise ?

Noel tshiani : Etienne Tshisekedi a été effectivement un poids lourd de la politique en RDC. Il a joué un rôle remarquable dans les efforts de démocratisation et de l’avènement de l’état de droit dans le pays. Il va donc de soi que sa brusque disparition puisse avoir des implications majeures dans le paysage politique congolais. D’entrée de jeu, son propre parti politique, l’UDPS, sera appelé à faire face au double défi de sa propre survie en tant qu’organisation sociale et de son positionnement comme fer de lance de la lutte politique non-violente en cours pour l’alternance démocratique et constitutionnelle au sommet de l’Etat. De la survie de l’UDPS dépendra celle du Rassemblement de l’Opposition comme corps organisé. Les calculs politiciens, jusqu’ici essentiellement basé sur la prise en compte du poids de Tshisekedi sur la scène politique devront être reconsidérés dans les états-majors des partis adverses ou alliés et cela pourrait avoir des conséquences inévitables sur l’issue des pourparlers (négociations modérées par l’église catholique en RDC ndlr) en cours.

La désignation d’un remplaçant de Tshisekedi à la tête du conseil national de suivi de l’accord du 31 décembre tout comme les discussions sur la désignation du premier ministre ne seront plus envisagées de la même manière que du vivant du Président Tshisekedi. Cependant, l’éveil de conscience politique qui caractérise actuellement la majorité de la jeunesse congolaise est tel qu’il présente une pesanteur importante héritée du combat du Vieux et que personne ne contrôlerait totalement. En bref, le vide laissé par Etienne Tshisekedi sera, certes, difficile à combler au niveau des structures auxquelles il était associé et ce, avec toutes les conséquences pour les rapports de force avec le pouvoir en place.

KT : Il a eu à jouer un rôle clé dans le processus ayant conduit à la signature du compromis global et inclusif sous l’égide de l’Eglise Catholique en décembre 2016 et il devait être président du conseil de suivi de l’application de l’accord, un rôle pratiquement de surveillance et de contrepoids. Comment sa mort va-t-elle affecter la suite du processus ?

NT : La mise en application de l’Accord du 31 décembre 2016, accord inclusif pour l’aboutissement duquel le Président Etienne Tshisekedi s’était totalement investi de son vivant, est déjà mise à mal par l’enlisement des discussions en cours sur certains points de l’Arrangement Particulier, notamment sur la question relative à la désignation du Premier Ministre et au contrôle des postes ministériels clés. Elle se grippe davantage avec sa disparition, étant donné que ses sages conseils et orientations, en tant qu’autorité morale de l’une des parties engagées dans le processus, pesaient énormément pour décanter la crise des pourparlers dans un contexte également marqué par des divergences notables au sein même de sa composante sur certaines questions.

Si la désignation du Vieux à la tête du conseil de suivi de l’accord était taillée sur mesure et symbolisait déjà le double souci de décrispation du climat politique par la cogestion relative de la période pré-électorale et de recherche de la rigueur dans le suivi des engagements, il est aisé de déduire que sa brusque disparition fragiliserait significativement ledit conseil de suivi dans son efficacité, en mettant tout éventuel remplaçant au défi de prouver à chaque épreuve qu’il serait aussi crédible et incorruptible qu’un Etienne Tshisekedi wa Mulumba dans le même rôle. Il n’y a pas de doute que l’opposition peut faire preuve de maturité en négociant en toute responsabilité et en s’accordant sur les dispositions à prendre pour combler avec succès le vide laissé par l’illustre disparu à la tête du conseil de suivi de l’accord pour en garantir l’efficacité.

KT : Il est un fait constat en politique congolaise que les partis politiques ne survivent pas à leurs leaders. Quelle est votre opinion sur l’avenir de l’UDPS, le parti de Tshisekedi, après la mort de son leader ?

NT : D’une manière générale, depuis l’indépendance du pays jusqu’à ce jour, les partis politiques en RDC, fonctionnent difficilement, même du vivant de leurs leaders charismatiques, tant qu’ils ne sont pas liés d’une manière ou d’une autre au pouvoir en place. La question de financement des partis politiques en RDC n’est toujours pas résolue tandis que les régimes autoritaires qui se sont jusqu’ici succédés ne cessent de mener la vie dure aux partis politiques de l’opposition : dédoublement des partis, débauchage des membres influents, arrestations arbitraires, chantage, etc. Et, à plus forte raison, lorsque le leader disparait, les choses se compliquent davantage : s’ils ne survivent pas avec beaucoup moins d’influence sur terrain que du vivant de leur autorité morale, les partis politiques « orphelins » sont effectivement voués à la disparition ou à l’éclatement. L’ABAKO de Kasa-Vubu, le MNC/Lumumba de Patrice Lumumba, le MPR-fait privé de Mobutu, tout comme l’UFERI de Nguz Karl-I -Bond, et nous en passons, ne semblent pas avoir résisté à cette dure réalité.

KT : Donc cela sera aussi le cas pour l’UDPS ?

NT : Les choses ne sont pas si automatiques pour tous les partis. En effet, si l’UDPS s’est retrouvée déjà à plusieurs reprises au bord de l’éclatement du vivant-même de son leader et a pu en survivre, ce n’est pas seulement le fait du rayonnement ou du charisme de la personne d’Etienne Tshisekedi. L’endurance de l’UDPS est aussi et surtout à cause du large soutien dont ce parti bénéficie de la majorité de la population congolaise du fait de la justesse et de la noblesse de son long et pénible combat politique: le combat pour la démocratie, l’Etat de droit et le bien être du peuple congolais. J’en appelle à tous les cadres de ce parti de rester sereins lors du Congrès du parti qui déterminera certainement ses nouveaux dirigeants pour poursuivre la lutte noble du Sphinx de Limete en mettant le peuple d’abord. L’UDPS est un grand parti. Sa survie est importante pour la démocratisation du pays et en tant que contrepoids du pouvoir en place. Mon espoir est que le futur leadership rassemble toutes les différentes fractions du parti pour se mettre en ordre de bataille pour les échéances présidentielles, législatives et locales à venir.

KT : De manière générale, comment évaluez-vous le rôle de Tshisekedi dans l’instauration du changement démocratique en RDC ? Peut-on dire que ce rôle a été un succès ? Sinon, qu’aurait-il pu faire différemment?

NT : La justesse de la noble lutte d’Etienne Tshisekedi aura été largement favorisée par les dérives dictatoriales permanentes dont souffre le peuple de la RDC depuis la Deuxième République jusqu’à ce jour. La constance de cette lutte, que d’aucuns ont assimilé, à tort ou à raison, à la « radicalité », est à ce titre la réplique à la persistance desdites dérives et de leurs effets néfastes sur la vie économique et sociale des congolais.

Cette constance a été ponctuée des moments de fortes frustrations : arrestations, intimidations, relégations… et des épisodes de relatives détentes (Accord du Palais de Marbre 1&2, CNS, Dialogue de Sun City, Accord de la Saint Sylvestre, etc.). Par ailleurs, le combat d’Etienne Tshisekedi tout au long de ces différents épisodes n’a pas été que réussite ou échec pour sa personne. Il a surtout été une source d’inspiration et un modèle pour les nouvelles générations.

KT : A-t-il encore eu une certaine influence sur la jeunesse durant ces dernières années?

NT : Oui, bien sûr. L’avènement et la montée facile en puissance des mouvements citoyens dans les milieux de la Société civile sur toute l’étendue de la République (Filimbi ou Lucha entre autres) doit, entre autres causes, s’expliquer par les mêmes facteurs que ceux qui ont justifié le combat politique d’Etienne Tshisekedi. Par conséquent, ce combat a eu certainement le mérite d’influencer celui dans lequel lesdits mouvements semblent être désormais engagés. Si le peuple arrive déjà à se prendre en charge, nous ne pouvons qu’associer cela au combat de Tshisekedi sans, bien entendu, sous-estimer l’apport inestimable de celui de la Diaspora et des autres acteurs engagés dans la lutte pacifique pour le changement dans notre pays.

KT : Pensez-vous que sa mort puisse jouer en faveur du pouvoir et amener celui-ci à se dédire des engagements pris, notamment sur la limitation des mandats pour Joseph Kabila?

NT : Le vide créé par le décès d’Etienne Tshisekedi va certainement influencer les calculs politiques tant dans les états-majors du Pouvoir que dans ceux de l’opposition. Il est bien possible, dans ces nouvelles conditions, que les ajustements opportunistes des uns et des autres aboutissent à une curieuse reconfiguration des rapports de force jusqu’à mettre en péril l’Accord du 31 décembre 2016 ainsi que le cycle actuel des négociations portant sur la gestion pacifique et consensuelle de la période pré-électorale. Mais comme le décès d’Etienne Tshisekedi ne vient modifier ni la Constitution ni l’Accord de la Saint Sylvestre, toute tentative de violation de ces deux outils trouvera certainement le peuple sur son chemin. Les différents cycles de négociations suscitées par la non organisation des élections dans les limites et conditions fixées par la Constitution ont eu la vertu insoupçonnée de véhiculer un message pédagogique pour la population. Cette dernière est de plus en plus convaincue qu’elle est le dernier rempart du respect de l’ordre constitutionnel et qu’elle a la mission historique de peser de tout son poids pour se faire. A cet égard, Etienne Tshisekedi est monté à plusieurs reprises au créneau pour inviter à la retenue les populations en furie. Maintenant qu’il s’en est allé, il y a lieu d’inviter le pouvoir et l’opposition à la prudence et à la circonspection, car tout peut arriver avec des conséquences incalculables sur la stabilité du pays et l’avenir de notre population.

KT : Un mot de la fin?

NT : Le combat commencé par Etienne Tshisekedi wa Mulumba n’est pas encore fini. Il ne finira pas tant que la RDC n’est pas une démocratie fonctionnelle, un Etat de droit, une île de paix et de prospérité partagée, un pays où la bonne gouvernance favorise le développement durable et permet de partager équitablement les richesses nationales. Le combat n’est pas fini tant que la corruption, le tribalisme, le favoritisme, les conflits d’intérêts, les trahisons, la prédation des richesses nationales et les vols des biens publics continuent à miner le développement économique et social du pays. Le combat n’est pas fini tant qu’une minorité opprime la majorité de nos compatriotes en bafouant les libertés individuelles et collectives. Ce combat là, nous le continuerons jusqu’à la victoire finale qui est de faire de la RDC un pays stable, prospère et équitable que nous pourrions léguer à nos enfants et à nos petits enfants de la même façon qu’Etienne Tshisekedi nous a légué le courage et la détermination de nous prendre en charge.